Marinette Cueco : pierres, ardoises, entrelacs

« Marinette capture les pierres des jardins. Qu'elles soient des rocs brisés, des galets roulés, des montagnes émiettées ou des rochers d'affleurement, elle les prend. D'un geste vif, elle enferme dans son filet de patience ses pierres inertes. Des lacis de fils fragiles solidifiés par la solidarité de leur réseau, la fermeté de leur ligature, immobilisent les masses pesantes devenues animales en posture d'attente. Marinette passe ainsi d'un règne à l'autre, végétale en ses fils, femme en ses chevelures de tresses, minérale en ses pierres devenues animales par capture.
Les jardins de pierres captives rappellent que toute mise en ordre est une mise à la raison du monde sauvage, à moins qu'ici le filet ne soit l'outil d'une force animale surgie du fond de la patience des femmes. D'autres tresses de chevelure végétale, ténues, se sont infiltrées dans des percements d'ardoises noires pour y marquer la trace de leur sinueux parcours. Ces fils ont tracé des écritures, des marques, des indices ou les repères d'une indéchiffrable signalétique.
Les oeuvres de Marinette sont des exploits de mise en sommeil d'éléments vivants voués en principe à la perdition et qui là, par solidarité et transformation magique, ensommeillent une survie jusqu'à des réveils prévisibles que la rigueur formelle et austère se plaît à dissimuler. Ils se révèlent pourtant à ceux qui cultivent l'effort de les voir, ou sont habités par la nonchalance d'y croire.
Jardins de mystère, espace grottesque de survie patiente, refuges pour des temps arides ou s'allient l'inerte et le vivant, le lourd et le fragile, l'éphémère et l'éternel, ils sont des paradis sans mièvrerie, sans complaisance. Jardin aussi de sommeil, où voisinent par frottement, par caresse, le dur et le tendre : jardins apaisés de leurs contraires étreints. » Henri Cueco, 22 mai 1995